LE PARTI DU MONDE, extrait du texte

Les pièces d’Alain Rivière

Alain Rivière, isoloir, paris, 1986

ETIAM CREDO, anagramme de démocratie. Place de la République, Paris, 1986

 Alain Rivière, HubrisHubris

Une exposition collective
autour des photographies d’Alexandre Christiaens

Commissariat : François de Coninck

THEATRE ET CENTRE CULTUREL DE NAMUR
Espaces culturels des ABATTOIRS DE BOMEL
du 25 septembre au 25 octobre 2015

Argument :

Voyageur, navigateur, baroudeur dans la lignée des Jack London, Blaise Cendrars et autres fouilleurs de mondes, le photographe Alexandre Christiaens promène son regard dans des lieux improbables aux quatre coins de la planète… Lire le texte intégral

Alain Rivière

Né à Paris en 1958, Alain Rivière vit et travaille dans la Drôme. Il est plasticien, réalisateur et enseignant aux Beaux-Arts de Marseille. Il travaille, écrit Jean-Yves Jouannais, « à une œuvre qui semble être l’expansion anarchique et polymorphe d’un rêve très ancien et depuis oublié, qui devait être un livre, le livre. Cette œuvre pourrait s’apparenter à une sorte de catalogue de vente par correspondance, à son brouillon en tout cas, réalisé dans des conditions artisanales ultimes. Il semblerait que l’auteur-éditeur de cet ouvrage éminemment commercial se soit multiplié afin d’apparaître partout et, tel un mannequin plein de bonne volonté, de servir de modèle unique à la fois aux pages « Sous-vêtements » – hommes et femmes –, à la rubrique « Jouets », aux chapitres « Électroménager » ou « Philosophie ». C’est toujours Alain Rivière, toujours identique et jamais tout à fait le même, qui prend la pose, au service d’accessoires, d’attributs ou de notions qui ne le caractérisent qu’accidentellement et de manière passagère. À y regarder de plus près, il semblerait que cette ébauche de catalogue marchand soit davantage un projet d’encyclopédie. L’encyclopédie d’un monde qui n’existe pas. Une encyclopédie qui n’expliciterait pas un monde, mais qui tenterait de le constituer. Et le mode de constitution de ce monde serait moins de l’ordre de l’inventaire, de la compilation, que du retranchement, de la palinodie, de la biffure »1

Hubris

Dans la Grèce antique, l’hubris désignait tout ce qui, dans la conduite de l’homme, était considéré par les dieux comme de l’orgueil démesuré – et puni en conséquence comme une faute. Les quatre portraits accompagnés d’un texte appartiennent à la série plus large des Vues de l’esprit : des autoportraits à travers lesquels Alain Rivière dit se représenter « plus ou moins perdu dans l’Histoire et dans la vie en général ». Ces quatre portraits sont encore référencés par des catégories précises : le « secteur art » pour deux d’entre eux, le « secteur politique » et le « secteur philosophique » pour les deux autres. L’artiste s’est mis en scène et photographié figé dans la posture du rêveur, du penseur, du littérateur, du promeneur solitaire. Ces quatre figures archétypales de la pensée font montre, dans le texte qui accompagne leurs portraits, d’une ambition démesurée sur le monde – celle de « circonscrire les territoires minés du lyrique et de l’héroïque en crapahutant dans leurs fossés ou en explorant leurs douves »2. Mais force est de constater que chacun d’entre eux se prend les pieds dans le tapis de la langue : sur le rivage du labeur, à la surface granuleuse de la page blanche affleure l’expression accidentelle d’aspirations déconfites. La figure de l’oxymoron est ici portée à son comble dans la matérialité même de l’écriture – une écriture du fiasco à l’horizon du réel qui déjoue sans cesse toute tentative d’emprise par le langage. Ces paperolles tachetées, biffées, effacées, raturées et avinées signent une « jubilation littéraire qui n’existe pas hors d’une pratique du trébuchement. Des anacoluthes qui tombent, s’épuisent à désirer préciser et s’égarent à force de vouloir dire. Une pratique mélancolique et non masochiste d’une figure relevée et commentée par Nathalie Quintane : l’épanorthose qui est une figure de rectification, de rétractation, et comme d’excuse quand on s’est trompé. Alain Rivière fait de l’épanorthose, figure de mots, une figure graphique. Son texte est épanorthosé de fond en comble. En clair : ce n’est jamais tout à fait ça. »3

Etiam credo

Au départ, il y a une installation dans les rues de Paris, en 1988 : Alain Rivière place un isoloir autour d’une boîte aux lettres à la sortie d’une bouche de métro. L’isoloir est surmonté d’un panneau en bois où se trouve gravée l’inscription ETIAM CREDO. Anagramme parfait du mot DEMOCRATIE, la phrase signifie en latin : « Pourtant j’y crois ». Sur proposition du commissaire, l’installation a été revue pour l’exposition : l’isoloir et sa plaque sont présents mais le premier est désormais fermé et la boîte aux lettres a disparue : à l’intérieur de l’isoloir se trouve placée l’installation sonore d’Eugène Savitzkaya et Marie André, NOUBA, audible de l’extérieur avec des casques audio. De ce lieu confiné où chacun d’entre nous est amené à déposer sa voix silencieusement, dans la solitude d’une « croyance malgré tout » – monte donc désormais le brouhaha qui s’élève des assemblées humaines (…) : « Suscitée par le tohu-bohu que la grammaire voudrait organiser en cosmos, la parole retourne au chaos… Ce qui reste en mémoire est un tissu sonore, dense et riche, semblable au vent, à la houle de la mer, au crépitement de la pluie. NOUBA est un flot de paroles où les voix sont fondues, une averse de mots s’éloignant de leur sens, une vague qui roule et mêle des vocables familiers », comme l’écrit Eugène Savitzkaya lui-même.

1 Jean-Yves Jouannais, “Hello Eylau”, Art Press 2, mai 2007.

2 Ibid.

François de Conink