ALAIN RIVIÈRE, À PROPOS DE LA COLLECTION FÉLICIEN MARBOEUF :line-break-fine-2

En 2009, Jean Yves Jouannais, qui souhaitait donner une nouvelle substance au personnage de Félicien Marbœuf, fit appel à quelques artistes et organisa une exposition à la Fondation Ricard pour l’art contemporain. Ma contribution au projet, consista en une collection de photographies d’écrivains aux yeux fermés. Je prêtais ainsi à Félicien Marbœuf une étrange lubie, consistant à accumuler des portraits d’écrivains sur leurs lits de mort, ou simplement assoupis dans une interminable séance de pose chez Carjat ou Nadar.Cette œuvre envisageait de donner une forme au retrait silencieux qui creuse la figure de Marbœuf. On sait que le silence, dans la littérature, à même la langue, fut un grand motif de la modernité depuis Mallarmé et tout au long du vingtième siècle. Il y avait donc de quoi faire.

Lorsque François de Coninck et Guy Jungblut (éditions Anima-Lundens et Yellow Now ) m’ont proposé de tirer de cette pièce la matière d’un livre, il nous a paru nécessaire d’y associer Jean Yves Jouannais et de lui demander une contribution à l’ouvrage. L’option qu’il choisit nous a ravis : loin de clore l’histoire dans un commentaire, elle l’enveloppait au contraire un peu plus dans son tissu de fiction. Quatre nouvelles lettres tirées de la correspondance de Marbœuf avec Proust furent  opportunément découvertes, et vinrent y ajouter leur pli. 

Émile Zola, portrait de la collection Marboeuf.


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QUE RESTE-T-IL DE CE BEAU POÈME QUE TU M’AS LU DERRIÈRE UN MEUBLE ?line-break-fine-2

L’ouvrage ainsi titré est un petit volume. Il tient dans la main et se glisse dans une poche. Un pan de vie : l’œuvre absente ou la littérature contournée de Félicien Marbœuf (1852-1924). Aucun appareil critique ne le surplombe ; c’est un fac-similé. On y trouve seulement l’empreinte laissée par Marbœuf, la poussière qu’il souleva en s’éloignant sur les chemins de la littérature.

Qu’y voit-on, alors ? Que serrait ainsi Félicien Marbœuf dans sa poche ?

Des images. Une collection d’images. Une collection à deux faces, semblable aux ailes du papillon que l’entomologiste pique soigneusement au fond d’une boite : sur les pages de gauche, cinquante portraits d’écrivains, les yeux fermés. Face à eux, en pages de droite, qu’ils ne peuvent pas voir : cinquante pages vierges, paperolles silencieuses, vierges de toute littérature.

Une collection de paupières en somme, ou “tout en paupières“, selon l’heureuse expression de Marbœuf dans une lettre à Marcel Proust.

Car il y eut bien une correspondance entre Marbœuf et l’auteur de la Recherche. Ici, deux lettres à Proust sont reproduites, et les réponses reçues de lui, qui nous parlent du moment d’origine de la collection. Elles sont très importantes. Marbœuf les a soigneusement conservées dans son cabinet ; le présent cabinet de poche à tranche rouge.
À y regarder de près, ce sont bien des tensions de l’histoire des lettres qui s’annoncent dans le personnage de Marbœuf. La littérature impossible, pensons à Melville, à Mallarmé, Borges, Blanchot, l’écriture blanche, l’absence, l’autobiographie impossible, la langue océanique et impersonnelle, face à l’océan bien réel, lui, obstiné, de l’œuvre proustienne. La littérature ou la vie, les mains en l’air. La guerre, en somme…

… Et le somme à la guerre, comme on le verra aussi en lisant cette correspondance.

Félicien Marbœuf est un nuage, un nuage de poussière à l’horizon d’un champ de bataille : la littérature.

Alain Rivière